Marina
Olympios

 
 

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Présentation du film
L’ ART EST JUSTICE
de  Marina Olympios
par Yves Pergeret, écrirain et poète
au Centre Culturel Français
Nicosie, Chypre, le 8 avril 1993

Avec une audace étonnante, Marina Olympios est soudain apparue dans le monde difficile de l’ art il y a quelques années.  Et elle a déjà réalisé tant à Paris qu’à Nicosie plusieurs expositions.  

Si je parle d’audace, c’ est que sa constance et son formidable allant lui permettent de poser en pleine lumière certaines des questions les plus difficiles dont ait à traiter un artiste de ce temps.

Le pleine lumière dont je parle est bien sûr celle du ciel de Chypre où prospèrent les vents de l’hellénisme : nous autres français, soumis aux caprices des soufflés divers de l’océan, par un ciel souvent brouillé, nous admirons votre ciel et votre lumière de l’aletheia, votre lumière qui fait que la vérité est l’état des choses que plus aucune obscurité ne cache. 

Mais la pleine lumière c’est aussi là où Marina Olympios s’avance parce qu’elle prend le parti de s’adresser de la manière la plus directe qui soit aux choses et aux gens.  Voyez comme elle s’adresse directement aux pierres les plus anciennes, aux fossiles et aux minéraux qui sont le socle et l’origine de notre terre et de notre temps : elle les  travaille comme si elle les tutoyait, elle les grave, les incise et les sculpte comme si ces extraordinaires fragments de mythe étaient des utilités quotidiennes, à portée de main ou de regard. 
 
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Mais c’est aussi à nous que Marina Olympios s’adresse, nous ses contemporains, ses voisins, ses proches et elle s’adresse à nous dans une parole simple et directe, dans les images simples et directes de ses photos et de son film, dans les volumes simples et directs de ses sculptures. Voici cette audace qui faite se tourner Marina Olympios avec le même naturel vers l’origine du temps et de la terre aussi bien que  vers nous.

L’audace chez cette jeune artiste va sans la moindre naiveté.  Je parlais tout à l’heure du monde difficile de l’art parce que la naiveté y est un écueil définitif, parce que l’élitisme de la tour d’ivoire, c’est-à-dire un discours de l’artiste destiné à quelques rares confrères, ennuie tout le monde, parce qu’enfin les Europe, qui en Afrique, qui au Moyen Orient, qui ailleurs encore, font de l’angélisme un écueil et un ennui tout aussi définitifs. 

Avec une audace artistique et une intégrité éthique qui je salue, Marina Olympios a réalisé le film L’ART EST JUSTICE en 1991 ; sa première projection a eu lieu à Paris en 1992, d’abord à la Sorbonne en février, puis au Centre Pompidou en novembre ; sa première projection à Chypre se déroule ce soir même.  

Ce film est une méditation sur le rôle de l’art face à la mort.  

Dans sa première partie, la mort ronge la vie dans des scènes de guerre, telles du moins que des jeunes enfants les ont vues et vécues : Marina Olympios avait  6 ans au moment des événements dramatiques de 1974.  Dix-huit ans après, elle réalise cette scène magnifique, avec le vocabulaire artistique le plus simple qui soit, où le silence des champs de blés et des collines dorées de Chypre est fendu par un grand cri primordial (cri de la naissance, cri de l’amour, cri où l’on pourrait entendre “le Grand Pan est mort”, cri d’un mourant) qui inaugure le ballet d’amitié et de mort de l’enfant et du soldat.  Le très jeune soldat a plongé dans la mort ; ce que le petit garçon ausculte, bien plus que le mort, c’est la mort sans bien sûr comprendre tout ce qu’elle implique; le blé juste fauché, le ciel, l’espace, l’enfance la mort, tout dans cette séquence est dans une magnifique lumière promordiale, à l’orée du langage et comme dans un premier tutoiement ; et sur cette orée du langage, qui est peut - être bien le monde de l’art, deux signes cristallisent, le cri du début de la scène et le grand bijou étrange que le petit garçon porte en bandoulière avant de le déposer sur le torse du soldat mort. 

Dans le seconde partie du film, divers artistes et penseurs, tout simplement se présentent, et nous disent ce qu’ils pensent de la mort et comment ils peuvent, malgré elle, créer.  Séquences parfois émouvantes, parfois profondes ; parfois aussi cocasses ou dérisoires, tant sont redoutables les écueils de l’art.  A ce moment du film, Marina Olympios met en scène et filme sa propre méditation d’artiste sur la mort : une «performance» sur la mort et le besoin de paix tels qu’elle les ressent dans son existence de jeune artiste chypriote : sur le sol du “Palais des Etudes” à l’Ecole des Beaux-arts des Paris elle trace avec du sable les chiffres des années successives de sa vie, y verse du sang, fait entendre le même long cri primordial et de mort qu’avait fait entendre plus tôt dans le film le jeune soldat, puis se réunit avec ses deux compagnons de «performance» devant une fontaine lustrale d’eau et de sang. 

Enfin dans la dernière partie, les enfants jouent devant la mort et avec elle, comme les enfants à la fin du Wozzeck de Berg.  A nouveau, Marina Olympios atteint ici à mon sens au grand art, lorsque dans le cimetière des jeunes soldats les deux enfants s’appuient à la grosse jarre de terre en en  quelque sotre l’enlacent, comme si cette jarre tournant son ouverture vers la caméra devenait bouche à ce moment silencieuse mais d’où pourrait émaner une troisième fois le cri ou bien peut-être sourdre une nouvelle eau lustrale; un troisième enfant se joint alors aux deux premiers en une ronde lente et heureuse, autour d’une main sculptée ouverte en signe d’offrande et de paix puis autour d’un crocodile pacifié.

Je voudrais aussi évoquer la simple beauté de la pluie d’or sur une tombe et de la descente dans la mer du nouveau jeune soldat, sosie de celui mort dix-sept ans plus tôt dans le champ de blé.  Ce sont là autant d’images ou de séquences dont la simple beauté et la force poétique me paraissent remarquables. 

Ce film porte un titre audacieux, L’ART EST JUSTICE.  Marina Olympios dit vers le début du film : « l’art est justice.  La justice est l’histoire de mon pays ».  Le mot justice, chacun le sait, est un mot grave et difficile.  L’intention de ce film est de rendre justice à la vie et de rendre hommage à Chypre et à ses souffrances.

Marina Olympios prend le parti de rendre cet hommage et cette justice en pleine lumière et grâce à la pleine lumière.  C’est un risque, car elle s’approche en fait de la part d’ombre la plus irréductible et la plus inaccessible dans chacun de nous et dans chaque peuple, qui est celle de la violence et de la mort.  C’est un risque car l’irrationnel se conjugue mal avec la lumière.  

Pourtant les fondateurs de la tragédie il y a presque trois mille ans ou, plus près de nous, Herman Broch ont inventé des formules possibles pour cette conjugaison.  Rainer Maria Rilke nous dit aussi que la conscience de la mort est ce qui sauve chacun, mais dans une sorte de demi jour où se déploie la solitude visionnaire des amantes. 

Marina Olympios ose ici une autre voie pour approcher notre part d’ombre, la voie d’une lumière primordiale qui serait là, au temps de l’origine, offerte aux yeux de l’enfant.  

Yves Bergeret  

   

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